Décès de Valère Rogissart, militant historique de la RDR
C’est un acteur historique de la réduction des risques (RdR) en France qui disparaît avec le décès (mardi 9 avril) de Valère Rogissart, grande figure militante de l’accompagnement des personnes usagères de drogues et de la lutte contre le sida. Valère Rogissart a occupé de nombreuses fonctions et différents postes dans un parcours militant et professionnel consacré aux personnes consommatrices de produits. De nombreux hommages lui ont été rendus.
Un pilier de la RdR en France
Valère Rogissart a été responsable de la mission rave de Médecins du monde, créée en 1997 pour réduire les risques liés à la consommation de drogues dans les free parties. Il a été président de l’AFR (Association française de réduction des risques) de 2004 à 2005. Il a aussi présidé le comité d’organisation des Rencontres nationales de la RdR de 2005 à 2008. Il fut aussi directeur du Centre de formation aux professions éducatives et sociales d’Aubervilliers. Valère Rogissart découvre AIDES en 1987. Il est alors en formation d’éducateur, son premier métier. Cette année-là, il rencontre Blaise Noël, militant de AIDES, qui lui présente un des premiers documents de RdR fait par l’association : Fixer propre. Il poursuivra son engagement et deviendra par la suite secrétaire général de AIDES Fédération. Valère Rogissart sera quelques années plus tard un des acteurs du collectif Limiter la casse. Il est ainsi aux côtés d’Arnaud Marty-Lavauzelle (président), et Alain Bonnineau, un des représentants de AIDES à la première réunion de Limiter la casse, en mars 1993 à Paris.
À Médecins du Monde, Valère Rogissart va travailler sur « l’éducation aux risques liés à l’injection de drogues ». Il s’agit alors du projet Erli (Éducation aux risques liés à l’injection), comme le rappelle, en 2013, un article de Marie Debrus. Le projet vient de militants-es des Missions rave de Médecins du Monde particulièrement engagés-es sur la question de l’injection. « Un bilan prometteur de cette action avait motivé Valère Rogissart, alors responsable de la Mission rave Paris de MdM et directeur du Caarud (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques) Sida Paroles, à implanter ce type de démarche en milieu urbain sur la boutique de la structure qu’il dirigeait », explique Marie Debrus. Le projet ne peut pas être porté par Sida Paroles. Fin 2009, le conseil d’administration de MdM valide officiellement la création de la mission Erli, qui s’appuie sur le centre de soins et d’accompagnement en prévention Gaïa Paris et le Caarud Sida Paroles implanté en région francilienne Hauts-de-Seine, souligne Marie Debrus. Valère Rogissart et Élisabeth Avril sont alors nommés-es responsables de cette mission. En 2010, ce projet innovant de RdR devient un projet de recherche de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (Aerli-ANRS) ; une recherche réalisée conjointement par AIDES, Médecins du Monde et l’Inserm U912 (Marseille).
Dans une interview au journal Le Monde (7 juin 2001), Valère Rogissart rappelait l’importance des interventions de RdR dans le milieu festif. Le journaliste Frédéric Chambon l’interviewait alors sur une nouvelle législation en préparation pour contrôler les free parties. « Jusqu’à présent, Médecins du monde était engagée, comme d’autres associations, dans un dialogue avec les pouvoirs publics pour trouver un moyen terme entre l’inorganisation des free parties et la répression, sous la forme d’une charte de bonne intervention dans les raves clandestines, associée à une circulaire allant dans le sens de solutions négociées. Cette logique a été abandonnée pour une solution répressive », constatait-il. « Le danger, c’est que les fêtes aient lieu dans des endroits encore plus clandestins, donc plus dangereux et plus difficiles d’accès pour nous [les acteurs-rices de la RdR, ndlr]. Reste à savoir si on est en face d’un problème de santé publique ou d’ordre public ». Le militant soulignait le rôle de Médecins du monde dans les free parties. « On fait un travail de contact sanitaire et social en contrôlant les produits consommés et en informant sur les dangers encourus. Notre but est de sécuriser la consommation, d’inciter les participants à l’éviter mais aussi de soigner les accidents en tout genre (…) La réduction des risques est intégrée dans les comportements et les organisateurs ont compris l’intérêt de notre présence. Ce sont eux qui nous appellent. De notre côté, on a compris qu’il valait mieux essayer de faire face au problème en étant présents dans les free parties plutôt que de mettre la tête dans le sac ».
RdR : « Je suis complice »
Militant aguerri, expert reconnu, Valère Rogissart a beaucoup publié de tribunes militantes, d’articles scientifiques (certains co-signés avec la sociologue Anne Coppel) défendant la RdR, valorisant les arguments scientifiques en faveur de cette approche, démontrant son intérêt en matière de santé publique. Très tôt, par exemple, il a défendu l’utilité des salles de consommation à moindre risque. « Des revues nationales et internationales de littérature ont été effectuées, afin de faire le point, notamment, sur les expériences menées à l’étranger. Des expériences de salles de consommation, guidées principalement par une logique d’ordre public, ont ainsi été recensées. Elles ont fait l’objet d’un travail d’évaluation sur leur impact sur la sécurité publique mais pas sur la réduction des risques infectieux », expliquait-il dans un colloque, il y a plusieurs années. Le militant y déplorait que le « débat public, sur ces questions, [soit] dominé par des considérations politiques et non techniques ».
Des considérations politiques en matière de « toxicomanie » comme disent les pouvoirs publics qu’il aura souvent dû combattre. On en trouve un bon exemple dans un article du Nouvel Obs de 2003. Valère Rogissart est alors responsable de la mission Rave à Médecins du Monde. Cette année-là, un autre militant historique de la RdR, Jean-Marc Priez (Techno Plus) fait l’objet de poursuites pour « provocation » et « facilitation » de l’usage de stupéfiants, sur le fondement de la loi de 70. En fait, la justice lui reproche de faire de la RdR. Le militant risque dix ans de prison. Dans son interview, titrée : « Je suis complice », Valère Rogissart prend fait et cause pour son collègue : « Dans ce dossier, tous les acteurs sont solidaires. J’affirme que Médecins du Monde fait la même chose que Techno Plus, et même « pire », par exemple avec nos programmes de testing, qui permettent aux jeunes que nous n’arrivons pas à dissuader de prendre des drogues, de tester ce qu’ils vont prendre. Personnellement, en tant que responsable de la mission Raves de Paris, je suis même complice. Je me rends dans des fêtes illégales, pour discuter avec des jeunes dans l’illégalité de prise de drogue. Nous ne changerons rien. C’est notre boulot d’aller auprès des gens qui vont mal. Quand je vois quelqu’un qui va mal, je ne me vois pas rester là à attendre, simplement parce qu’une loi a décidé qu’il était dans l’illégalité. Et d’ailleurs, quand est-ce que l’on se posera les bonnes questions ? Quand est-ce qu’on se demandera : mais qu’est-ce qu’ils ont ces jeunes à ne pas vouloir faire comme papa ? Socrate déjà parlait de ces bandes de jeunes dont on ne pouvait rien tirer. Ça serait peut-être aux adultes de se montrer responsables et aux pouvoirs publics de sortir de la tête des gens les horribles amalgames qu’on y a mis ».
Pertinent et drôle
La disparition de cette grande figure militante a suscité de nombreuses réactions.
« Très grande tristesse d’apprendre le décès de Valère Rogissart qui a été un compagnon de lutte à AIDES dans les années de cendres et qui a construit une stratégie et une politique de RDR juste et adaptée. Il était, il y a encore peu de temps à nos côtés à Marseille, toujours pertinent et drôle ! Il ne se prenait pas au sérieux (c’est très rare) ! », a souligné le militant et président de l’association Vers Marseille sans sida, Michel Bourrelly.
« Valère Rogissart nous a quittés. C’est un des plus importants acteurs de la réduction des risques pour les usagers de drogues. Il nous a quittés, mais ce qu’on lui doit, reste », a écrit Marc Dixneuf, directeur général de AIDES sur les réseaux sociaux.
« Valère Rogissart nous a quittés ce mardi. Nous sommes tristes. Il a été mon chef au Caarud Aurore 93. Inspirant, pertinent, drôle, cela a été un honneur de bosser avec lui. Il nous a portés par son humanité sur tant de sujets, évidemment sur la réduction des risques #RDR. Il était un grand monsieur de la prise en compte des usagers de produits psychoactifs », a expliqué Stéphane Bribard, ancien élu d’arrondissement Paris 10è, qui pilote un Caarud, un lit halte soins santé, une communauté thérapeutique et un service de domiciliation dans le 93.
Coordinateur général du Dispositif expert régional en addictologie, Bernard Bertand a, lui aussi, réagi : « Tu as fait partie de ces pionniers de la #RéductionDesRisques en France avec notamment le collectif #LimiterLaCasse. Tu as fait partie de ces premières personnes que j’ai croisées quand j’ai commencé à travailler à AIDES et qui m’ont beaucoup inspiré. Tu vas nous manquer ! ».
Association marseillaise de RdR en milieu festif, KEPS a fait part de sa « profond tristesse » : « Valère a été une figure emblématique dans la mission Rave de Médecins du Monde et pionnier de la réduction des risques en France, dévoué à la cause depuis les années 90. Son approche axée sur le dialogue et la prévention, sans jamais verser dans la culpabilisation, a marqué des générations. Valère était toujours à nos côtés, offrant son expertise avec pertinence et humour. Plus qu’un compagnon de lutte, ils nous les offraient ces luttes, telles une locomotive. Dans les doutes, nous rions alors un peu plus pour les mettre à distance. L’humour est un outil au seul protocole de la rencontre. Il nous a appris que les alliances, font soins. Que nous ne savons pas tout, pas vraiment, à moins d’être à plusieurs. Nous nous remémorons avec émotion les moments partagés en sa compagnie. Sa passion pour son travail, son engagement indéfectible envers les autres et sa capacité à inspirer ceux qui l’entouraient resteront gravés dans nos mémoires (…) En 2022, nous avons eu le privilège d’interviewer Valère, qui nous a ouvert les portes de son histoire, de son parcours et de ses ambitions. Nous sommes honorés de partager ce document exclusif et jamais diffusé, un témoignage authentique de sa vie et de son engagement (…) Valère laisse derrière lui un héritage précieux dans la lutte contre les injustices et les inégalités. Sa présence lumineuse manquera à tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître et de travailler à ses côtés. Nos pensées accompagnent sa famille, ses amis et tous ceux qui ont été touchés par sa générosité et sa bienveillance. Repose en paix, cher Valère. Ton héritage perdurera à travers ceux que tu as inspirés et dans les actions que tu as initiées. Ton souvenir restera vivant dans nos cœurs pour toujours. Toute l’équipe du Bus 31/32.
« Il a été un des piliers de la rdr, c’est un ami, il me manque » a réagi Anne Coppel, autre grande figure de la RdR en France qui a beaucoup milité à ses côtés.
Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton