Article Guadeloupe la 1ère : Julie Postollec • Publié le 24 novembre 2024 à 09h23
Le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, est chaque année l’occasion de faire un état des lieux. Et celui fait en Outre-mer reste préoccupant, au point que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) organise le lendemain 26 novembre une séance plénière intitulée "7 ans après l’avis du CESE : amplifions la lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer".
Le chiffre le plus alarmant concerne les féminicides : en 2022, 13 femmes ont été tuées par leur mari ou leur ex-conjoint dans les Outre-mer, soit 11 % du total des féminicides en France. Or la population ultramarine ne représente que 4 % des Français.
"Ça dit l’ampleur la gravité des violences faites aux femmes", déplore Ernestine Ronai, responsable du premier Observatoire des violences faites aux femmes depuis sa création en 2002, et personnalité associée au CESE où elle a présenté le rapport sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer.
Violences psychologiques en hausse
Au-delà de la question des féminicides, le CESE constate aussi une augmentation des violences, notamment psychologiques, sur tous les territoires où des chiffres existent. C’est en tout cas ce que déclare Sandrine Dauphin, directrice des relations internationales et des partenariats de l’Institut national d’études démographiques (Ined), dans une audition publiée en juin 2024.
"Ce qui va différencier les Outre-mer, par exemple par rapport à l’Hexagone, c’est l’augmentation significative des violences psychologiques durant la dernière décennie, où elles ont augmenté au moins de cinq points sur l’ensemble de ces territoires." Sandrine Dauphin au CESE
Il existe certes des disparités selon les départements et régions. Selon la publication de novembre 2024 du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), avec 14,6 % femmes victimes de violences conjugales en 2023, La Réunion est le 2e département de France le plus touché derrière le Pas-de-Calais. Ce taux n’était "que" de 13,2 % en 2022. Retrouvez dans cette carte le détail par territoire :
Il existe aussi des différences selon le degré d’urbanisation. Selon le SSMSI, l’on constate moins de victimes enregistrées dans les communes rurales et petites villes en Outre-mer qu’au niveau national. Mais une inversion s’opère à partir des communes de 20.000 habitants où les femmes battues sont plus nombreuses Outre-mer qu’en France. Dans l’ensemble, en 2023, on dénombre 12,8 % femmes victimes de violences dans les DROM contre 10,6 % en France.
Des chiffres sans doute sous-estimés, car toutes les femmes battues ne le disent pas. Selon Olivier Serva, député de la Guadeloupe et co-auteur du rapport sur la lutte contre les violences faites aux mineurs en Outre-mer, la violence intrafamiliale "plus exacerbée" dans les Outre-mer peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit de "petits territoires où l’omerta, ce qu’on ne dit pas est peut-être plus important".
Huit signalements par jour en Polynésie
Même sous-évalués et malgré le manque de données selon les territoires, les chiffres font pourtant froid dans le dos :
• les violences intrafamiliales – c’est-à-dire sur les femmes, mais aussi les mineurs et beaucoup plus rarement les hommes – sont deux fois plus nombreuses en Outre-mer que dans l’Hexagone
• en Guadeloupe, une femme sur cinq subit des violences conjugales
• en Polynésie, 3.000 signalements par an pour violences faites aux femmes sont recensés, soit un ratio de huit signalements par jour.
Si chaque territoire ultramarin a ses spécificités, les similitudes sont plus nombreuses qu’il n’y paraît : insularité, précarité, isolement, éducation autoritaire, addictions aux drogues et alcools, poids culturel, coutumier et religieux...
Selon Aurélie Garnier-Brun, directrice du développement de l’association "En Avant Toutes(s)", c’est autant de "facteurs de vulnérabilité qui vont faire que les violences sont plus intenses, plus visibles, plus fréquentes, et se manifester autrement, ce qui va faire qu’on va plus les remarquer qu’en Hexagone".
1 seul hébergement à Wallis et Futuna
À cela s’ajoute une prise en charge défaillante, avec des aides et structures inégalement réparties. Dans les DROM, le nombre d’hébergements pour les femmes victimes de violences va de 59 places en Guyane à 134 en Martinique, comme le montre cette carte.
Selon l’observatoire des violences faites aux femmes, la Martinique est la région la mieux pourvue : "avec 134 places dédiées, le taux pour dix mille habitants et habitantes [...] était de 3,8, ce qui faisait de cette région celle avec le taux le plus élevé du territoire français".
À l’inverse, Wallis et Futuna compte un hébergement d’urgence et seulement depuis l’an dernier. Il n’existe par ailleurs pas le dispositif "Téléphone grave danger" qui permet à une victime de violence conjugale d’alerter les forces de l’ordre en cas de danger, comme son nom l’indique.
Face à ce constat, le CESE lance un projet de résolution intitulé"Continuer le combat contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer". S’il est adopté en assemblée plénière le 26 novembre prochain, il permettrait de réactualiser les données du rapport précédent de 2017, d’évaluer la déclinaison effective des politiques publiques et de proposer des axes d’amélioration.