TRIBUNE parue dans Le Monde le 25 avril 2022
Alors qu’il y a encore en France près de deux cent mille personnes séropositives, des chercheurs, des médecins, des infirmiers et des responsables d’associations, parmi lesquels Karine Lacombe, Camille Spire et Gilles Pialoux, soulignent, dans une tribune au « Monde », que l’objectif de « 2030 sans sida » reste possible, à condition d’y mettre les moyens. Le quinquennat à venir sera décisif pour mettre fin à l’épidémie de VIH/sida et atteindre l’objectif fixé par votre dernier gouvernement : 2030 sans sida. Nous, militants-es, chercheurs-euses, médecins, infirmièrs-es, psychologues, travailleurs-ses sociaux-ales et cliniciens-nes de la lutte contre le VIH/sida vous exhortons à proposer une politique à la hauteur de l’enjeu que vous vous êtes fixé, et à appliquer les dix mesures politiques indispensables pour parvenir à cet objectif. Car un objectif ne signifie rien si l’on ne se donne pas les moyens de sa réalisation. Répétons-le aussi fort qu’il le faudra : l’épidémie de VIH/sida n’est pas finie. En France, près de 200 000 personnes sont séropositives. Parmi elles, 24 000 l’ignorent. Un chiffre qui augmentera probablement après plus deux ans de crise sanitaire qui ont entraîné une baisse de 14% du recours au dépistage et qui ont représenté un frein dans l’implémentation de la Prep, traitement préventif qui permet de se protéger du VIH.
Plus de 6 000 nouvelles infections par le VIH ont été découvertes en France en 2019, touchant le plus souvent des personnes discriminées par les conditions sociales dans lesquelles elles vivent ou stigmatisées par le regard que la société pose sur elles : personnes en situation d’exil, personnes trans, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, consommateurs-rices de produits psychoactifs, travailleurs-ses du sexe, ou encore personnes détenus-es. « Monsieur Macron, vous pourriez devenir le président de la fin du sida, mais il faut agir dès maintenant »->https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/28/monsieur-macron-vous-pourriez-devenir-le-president-de-la-fin-du-sida-mais-il-faut-agir-des-maintenant_6123997_3232.html] Votre ambition a jusqu’ici été insuffisante. Ces cinq dernières années, vous êtes même trop souvent allé à l’encontre de l’objectif que nous partageons. Vous avez mis en place un durcissement des conditions d’arrivée et d’accueil des personnes migrantes. Vous avez contribué à limiter l’accès à l’hôpital public aux plus démunis, en plus de n’avoir su préserver ses acteur-rices. Vous avez aussi exclu la société civile des prises de décision en santé, en particulier lors de la crise de la Covid-19. Nous disposons de huit courtes années jusqu’en 2030 pour rectifier le tir, préserver les populations face à ce virus et stopper une épidémie qui continue, chaque année, à coûter des milliers de vies à travers le monde. Monsieur Macron, vous pourriez devenir le Président de la fin du sida. Pour cela, il faut agir dès maintenant. Huit ans, c’est court. Mais c’est possible à condition que vous nous donniez les moyens. Aujourd’hui, tous les outils pour mettre fin à l’épidémie existent. Contribuez, avec nous, à les faire connaître et adoptez les stratégies de prévention qui permettront de mettre fin à l’épidémie. Financez la recherche clinique et interventionnelle. En bref, travaillez avec nous sur les 10 mesures que nous vous avons transmises en avril 2022. Mettez la santé au centre des politiques publiques. Adoptez une politique de protection sociale et d’emploi qui profite à tous-tes, tout au long de l’existence. Assurez un accès universel à la santé et aux soins. Accueillez dignement les personnes fuyant les persécutions ou la misère. Favorisez l’équité territoriale et un environnement salubre. Assurez l’éducation pour tous-tes dès le plus jeune âge, y compris dans la santé sexuelle et dans l’accès au numérique. Développez des programmes de recherche multidisciplinaires incluant les populations concernées dès leur conception. Promouvez la santé en tant que bien public et renforcez la lutte contre le VIH au niveau mondial. Travaillez avec et pour les populations concernées, y compris les plus pauvres et les plus discriminées. Défendez les droits de chacun-e, refusez la discrimination et la stigmatisation. Rappelez-vous que ce sont ces discriminations et stigmatisations, qu’elles soient sociales, ethniques, religieuses, liées à l’orientation sexuelle ou au genre, qui freinent l’accès aux soins et font aujourd’hui le jeu de l’épidémie. Il vous faudra, comme nous le faisons depuis des décennies, lutter concrètement contre ces inégalités, à la fois causes et conséquences de l’infection par le VIH.
Cette lutte passera nécessairement par un renforcement des droits humains et la protection de toutes les populations exposées à un risque de contamination. Ces points ont cruellement manqué lors du dernier quinquennat. Ces manquements nous obligent aujourd’hui à une vigilance particulière. Nos yeux sont rivés sur vos choix et sur la main que vous devez nous tendre dès aujourd’hui. L’Etat ne nous a jusqu’ici que trop peu soutenu dans nos batailles. Pour éviter les nouvelles contaminations et accompagner les personnes porteuses du VIH, luttons ensemble. Faites valoir le pragmatisme dont vous êtes si fier : écoutez-nous. Donnez du crédit aux personnes concernées, car qui peut se prétendre mieux placé qu’elles pour identifier leurs propres besoins ? Nous saurons nous faire entendre et ne lâcherons rien dans la défense des valeurs qui nous animent : le refus des discriminations et stigmatisations, les droits des populations, une politique de santé et des droits sociaux qui profitent à tous-tes.


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